… À l’usage de ceux qui voudraient comprendre la politique française
C’est le « chamboule-tout » dans la vie politique française. Chaque jour, un événement inattendu ouvre cette campagne législative, elle-même inattendue. Une semaine après l’annonce fracassante du président Emmanuel Macron de la dissolution de l’Assemblée nationale, on comprend un peu mieux son pari, mais on sait qu’il l’a déjà perdu.
Il a réussi, au soir des élections européennes, à éclipser de la une de l’actualité la victoire de l’extrême droite, au profit de cette décision qui a surpris tout le monde. Mais personne ne comprenait ni le moment choisi (après une victoire écrasante du Rassemblement National – RN) ni son intention. Emmanuel Macron s’en est expliqué le mercredi 12 juin 2024 lors d’une conférence de presse.
Devant la menace d’une motion de censure de son gouvernement à l’automne, promise par toutes les oppositions réunies, et prenant acte de la défaite de son camp aux européennes, il n’a fait qu’anticiper une dissolution annoncée en demandant l’arbitrage du peuple souverain.
Cela figure dans ses prérogatives et d’un point de vue démocratique, c’est inattaquable. Ce faisant, il en appelle à « la raison » de ses concitoyens et propose la création d’un « pôle central », des socio-démocrates aux Républicains, raisonnables et désireux de mener une politique « sérieuse », tout en tenant compte du message essentiel envoyé par les Français aux européennes : priorité au pouvoir d’achat, à l’immigration et à la sécurité.
Ce grand centre, il le présente comme la seule force à même de faire barrage aux extrêmes, à savoir l’extrême gauche incarnée par La France Insoumise (LFI), et l’extrême droite, le Rassemblement National, désormais aux portes du pouvoir.
Seulement, aussi sensé soit-il, son discours ne passe pas. Son appel à un rassemblement des modérés (centre gauche-centre droit), à un moment où il est politiquement si affaibli, ne peut prospérer. Qui, parmi les socialistes ou les républicains, rejoindrait un bateau en train de couler ? Ce mouvement, il aurait dû le susciter bien plus tôt, après son élection, quand il avait quelque chose à offrir à ses potentiels partenaires.
Par ailleurs, s’adressant à la raison des électeurs dans une période où « l’irrationalité » semble dominer, alimentée par une forme d’exaspération des Français à l’égard de leur président (si ce n’est un rejet), les arguments d’Emmanuel Macron glissent comme de l’eau sur une vitre. « Rejoignez-moi ! », dit le président ; « Tout sauf lui ! », semblent répondre les Français dont les regards se tournent ailleurs.
Ailleurs, c’est d’abord vers le Rassemblement National (RN), dont tout le monde pense que sa victoire aux européennes pourrait lui donner l’élan nécessaire pour parvenir à obtenir une large majorité à l’Assemblée Nationale. De fait, la dynamique est du côté du jeune leader du RN, Jordan Bardella, qui, à 28 ans, se voit déjà Premier ministre. Ce serait une première en France.
Pourtant, ce début de campagne n’est pas brillant du côté du RN et on se demande si le fameux « élan » ne commence pas déjà à marquer le pas. Les vicissitudes comi-tragiques du ralliement des républicains (leur président a annoncé un accord électoral avec le RN, accord totalement refusé par tous les cadres de son parti), et l’échec des négociations d’alliance avec le parti d’Éric Zemmour (extrême droite) laissent une impression de patinage. Et l’on commence aussi à entendre les responsables du RN laisser penser qu’ils ne pourraient pas vraiment appliquer la totalité de leur programme, rejetant par avance la responsabilité sur l’état désastreux des finances de la France (on se cache derrière l’annonce d’un audit des comptes publics dès la prise du pouvoir) et à cause des institutions en place, comme le conseil constitutionnel, que l’on imagine brider les ardeurs du nouveau gouvernement. Ce début de recul pourrait lui coûter des élus le 7 juillet prochain.
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Les Français regardent aussi du côté de la gauche qui les a surpris, elle aussi, en se rassemblant, 48 heures seulement après l’annonce de la dissolution. De l’extrême gauche (La France Insoumise – LFI, le parti anticapitaliste) aux socialistes (PS) jusqu’aux socio-démocrates (Raphaël Glucksmann, François Hollande), un accord a été signé. C’est la digue élevée par la gauche toute entière pour empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir.
Un « Nouveau Front populaire » est né et il soulève un certain espoir. Il comprend un accord électoral, dans lequel LFI reste dominant, pour les élections législatives et un programme de gouvernement dans lequel tous se reconnaissent, notamment sur les questions internationales qui divisaient rudement les signataires : la guerre en Ukraine, les rapports avec la Russie, la construction européenne, la guerre à Gaza et la qualification des actes du 7 octobre du Hamas de « terroristes », l’antisémitisme.
Le programme du front populaire, en 150 mesures, a un petit parfum de mai 1981, quand François Mitterrand a accédé au pouvoir. Il donne un certain souffle à la gauche qui se remet à espérer. Personne ne s’y attendait tant les dissensions entre les partis qui composent la coalition de gauche sont fortes. Mais comme l’a dit l’ancien président de la République, François Hollande, dès l’annonce de l’accord, « Je n’en connais pas encore le détail, mais pour moi, l’essentiel, c’est que l’union ait pu se faire » pour empêcher le Rassemblement National d’accéder au pouvoir. L’heure étant grave, les vieux grognards du socialisme (comme l’ancien Premier Ministre Lionel Jospin, 1997-2002) sortent de leur réserve pour soutenir le Front populaire. François Hollande joint le geste à la parole et entend mouiller sa chemise pour participer à ce qu’il nomme « le combat de toute sa vie publique ». Candidat aux législatives dans le département qui lui a donné son ancrage local, il opère un retour spectaculaire dans l’arène politique. Celui qui caresse l’idée de se représenter à l’élection présidentielle de 2027 si les circonstances s’y prêtent, pourrait s’offrir, s’il est élu le 7 juillet prochain, une magnifique tribune.
Mais déjà, certains candidats investis par La France Insoumise dans le cadre du Front populaire, comme Aly Diouara, obsédé par « les juifs » et « les blancs », font office de repoussoir pour certains électeurs socialistes ou socio-démocrates, tentés par l’aventure de l’union de la gauche. Faut-il choisir le choléra pour éviter la peste ? Équation difficile à résoudre.
Macron, dont la deuxième erreur a été de croire que la gauche ne parviendrait jamais à se rassembler et qui espérait en récupérer des éléments dans son « bloc central », se retrouve coincé entre la gauche et la droite nationaliste. Dès lors, le vote utile contre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir devient le vote pour le Front populaire.
Macron « est dans pain », comme le dit une expression ivoirienne. Il s’est mis lui-même dans la situation « d’une souris qui s’en va dans un mariage de chats ». Dès lors, l’issue du scrutin sera plus serrée que prévu. Les premiers sondages donnent le RN à 31%, voire 35%, et le Front populaire à 28% (ou 26%). Le pôle Macron frôle les 20% et les Républicains sont à 7%. En trois semaines d’une campagne de courte durée, les lignes peuvent encore bouger.
Au lendemain des législatives, le 7 juillet 2024, trois scénarios sont possibles : le premier, celui qui est dans toutes les têtes, est une victoire probante du Rassemblement National qui réussirait à obtenir une majorité absolue, plongeant la France dans l’inconnu ; dans le deuxième, la gauche empêche le RN d’atteindre la majorité absolue et la coalition macroniste est laminée ; dans le troisième scénario, les macronistes passent des accords locaux avec les Républicains et limitent la casse. Le RN n’a pas la majorité absolue et l’assemblée comprend trois blocs d’égale importance. Dans les hypothèses 2 et 3, aucune force n’est à même de gouverner le pays. Nul ne sait comment sortir de cette situation. La France plonge cette fois dans l’incertitude.
En un mandat et demi, Emmanuel Macron a réussi à casser la vieille bipolarisation Gauche-droite, en brisant les anciens partis de gouvernement (Parti socialiste et Les Républicains). Mais se reconstitue aujourd’hui, sans lui, une nouvelle forme de bipolarisation, beaucoup plus dangereuse, car dominée par les extrêmes.
« Inconnue », « incertitude » …Cette surprenante dissolution, qui n’offre décidément aucune perspective rassurante, plonge les Français dans l’expectative. La bonne nouvelle est que les instituts de sondages prédisent une très forte participation le jour du vote. Chacun devra agir selon sa conscience.
Philippe Di Nacera